mardi 22 juillet 2008

3. Analogie et opposition du processus de création

Dans ces deux constructions, nous avons une structure spatiale : une maison de production, ses rues alentour et une voiture pour Time Code, la continuation d’un sol urbain organisé en « double hélices » imbriqués dans un cube pour la bibliothèque de Jussieu. Ensuite, dans les deux cas, se trouve une structure temporelle : 93mn pour Time Code, le temps d’étudier dans une bibliothèque (une après-midi).
Dans les deux cas il s’agit d’une création représentée sur un espace par projection sur une surface perpendiculaire à la direction du regard (idée de planéité). Cette représentation est délimitée par le cadre de la surface projeté, on parlera donc de cadrage. Enfin et sûrement le plus important, l'idée de projection dans le temps à la fois de volume et de temps.
Le rapprochement du plan cinématographique et architectural va ainsi au delà d'une simple comparaison technique ou d'une similitude étymologique. En architecture comme au cinéma, le plan est un concept touchant à de la construction d'espace-temps par rapport à ce qu'il peut s'y passer (expérience, mouvement, déplacement, parcours...). En architecture ou en cinéma, l'un et l'autre pratique le plan, autrement dit, la surface de projection; avec des destinations et des usages différents. Le plan y est donc une manière d'exercer le temps car Il ne s'agit plus de représenter mais de le faire directement
en remontant du modèle à la matrice1. Ainsi il s'agit d'appréhender et de concevoir la prise d'espace comme déploiement de virtualité, cela donne au plan une dimension dynamique, autonome en temporalité.
La conception d’une structure autonome vis-à-vis de ceux qui l’habitent serait elle une solution pour donner vie aux combinaisons que peut apporter chaque vie humaine dans une architecture ? Cette volonté de créer ce rapport dynamique doit trouver son origine la compréhension et donc de la représentation du rapport espace/temps.

La bibliothèque de Jussieu ayant été pensée quelques six années avant la création de Time Code, cette analogie est donc purement hypothétique. Cette analogie autour de la compréhension/représentation du rapport espace/temps à pour vocation, en premier lieu, d’exprimer les liens et la nécessité de la confrontation de deux différents médiums. D’autre part il s’agit là d’une tentative de concept applicable à toute création impliquant une spatio/temporalité. En architecture, cela impliquerait une volonté de faire jouer à l’architecture un rôle d’objet « médium », servant un processus permanant, celui d’un dialogue actif et non passif entre création architecturale et usagers. Dans Time Code, la multiple performance des acteurs s’ajoute au libre choix d’interprétation des quatre écrans. Dans la bibliothèque de Jussieu, c’est la multitude d’attitudes connectées entre elles, qui grâce à la rampe continue, entretient ce dialogue.
Dans les deux cas, à la fois dans la bibliothèque de Jussieu et dans Time-Code, on retrouve en amont cette volonté de créer une structure permettant le dialogue actif entre usagers, devenus acteurs dès le moment ou ils sont rentrés en contact avec la création.
Est-il possible de d’interpréter Time-Code d’une infinité de
manière ? Ce sont vos yeux qui font le montage, pas le film2, le spectateur aurait ainsi à sa porté une structure dans le laquelle il pourrait se perdre et flâner. L’intention va dans ce sens mais la réalité n’y est pas. Des quatre fragments histoires, seul à certains moments une réelle dynamique existe entre les quatre histoires. Toutefois Le spectateur vit dans un référentiel imposé par le réalisateur. C’est dans cette même idée que le spectateur vit l’architecture de Koolhaas. D’une séquence à l’autre les autres pratiquant font figures d’éléments visuels.
L’auto montage que prône M.Figgis n’est en réalité pas si accessible que ça : Alors que l’image est délimitable dans l’espace, il est donc possible de comparer simultanément quatre image en même temps. Ce qui n’est pas le cas du son, qui lui se propage sans limite. Ainsi dans l’expérience de M.Figgis, le support sonore perd de sa force et plus est contradictoire avec l’intention initiale. Alors qu’il y a peuplement d’image, le son est hiérarchisé. A tout moment c’est donc une des quatre histoires qui sera privilégié. Paradoxalement, l’ouverture au monde via le sous-titrage classique achève ce concept : Le problème de la surimposition se retrouve à ce niveau là aussi et demande au réalisateur d’appuyer une première hiérarchisation sonore avec une sélection de sous titres. Ainsi le libre choix se retrouve influencé par le son et totalement guidé en cas d’activation des sous-titres.
Ainsi la technique prend le dessus sur le concept de M.Figgis, qui à tendance à s’autodétruire en produisant tout complément descriptif à l’image. De tel sorte qu’il est même sûrement possible de remonter le film de manière linéaire, grâce au son et plus facilement aux sous-titres. Mais ici, cela reste un détail face aux sensations et aux dialogues que peux créer ce film.
Mais cette volonté du « dialogue actif », ne peut se faire qu’avec l’approbation des usagers. Parce que ce dialogue demande l’effort de chacun, il ne pourra se faire si une attitude consommatrice et passive est dominante, cela transformerait un dialogue potentiel en un calvaire de 93mn, où les quatre écrans, en principes sources de flânerie, peuvent générer une interminable errance.
Les quatre caméras peuvent aussi rappeler une attitude de surveillance. Telle une émission de télé-réalité, le spectateur jouit de son pouvoir omniscient pour ne plus s’apercevoir qu’il s’agit d’une fiction. C’est toute la différence entre un documentaire tel que « Punishment Park » de Peter Watkins et l’émission de télé-réalité « Loftstory
» qui utilisent les mêmes procédés techniques. De la même manière, la bibliothèque de Jussieu pourrait se transformer en un phalanstère, une architecture sous le signe de l’autorité et de l’autocontrôle. Un puit entouré de coursives, amenant un accès visuel de toute part du bâtiment mais hiérarchisé par ses différences de hauteurs amène un pouvoir omniscient et de contrôle pour celui qui se trouve au sommet.


L’analogie entre le cinéma et l’architecture, au niveau du processus de représentation, c’est l’articulation de deux langages bien spécifiques autour d’un pivot. Ce dernier est l’essence même de toute dialectique pluridisciplinaire. La difficulté étant d’isoler précisément la spécificité commune des différents langages. Autant une analogie spécifique peut être intelligente, autant les divergences peuvent être considérable.
Si la représentation cinématographique est apte à un réel questionnement du réel, support sur lequel l’architecte travail aussi, la question est de se demander comment l’intégrer dans le processus du projet architecturale ? Pourrait on imaginer une esquisse d’un bâtiment représenté par un langage cinématographique ?




1 P.Klee, Le 26 janvier 1924, Conférence au Club des Arts de Iéna
2 Mike Figgis. Conférence au Yahoo! Internet Life OnlineFilm Festival (USA),

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