mardi 22 juillet 2008

2. Représentation et compréhension de l’espace/temps à travers le plan séquence dans Time Code de M.Figgis.

Time Code est un film réalisé par Mike Figgis, dans le lequel le spectateur à la possibilité de se perdre dans quatre scénarios autonomes mais articulés autour d’une même structure spatio/temporelle. Le film dure 93 mn, le temps d’une cassette digitale. Pour représenter l’interaction de ces quatre histoires qui se déroule dans le même espace à Los Angeles, Mike Figgis film en temps réel, en plan séquence chacune d’elles. L’écran est alors divisé en quatre plus petits. Le spectateur est ainsi plongé dans un « peuplement » d’histoires n’en formant qu’une. Ce film réserve ainsi, sur les quatre points de vue, un espace indéterminé et polymorphe. Les quatre caméras se retrouvent à l'écran sous forme de quatre cadres, ou fenêtres indépendantes, dont les actions respectives, qui se croisent, font passer les personnages de l'une à l'autre. Ces actions interagissent dans l'esprit du spectateur puisqu'elles apparaissent comme autant de sources d'informations sur une même situation globale.
L’espace filmique se défini ainsi : A Los Angeles, sur Sun Set Bd, se trouve une voiture dans laquelle Rose (Salma Hayek) et son amie (Holly Hunter) se rendent à la maison de production où Rose doit passer un casting ; la maison de production même où il est question de projets, de réunions, de bouts d'essais et de projections ; les alentours de la maison de production avec la rue. La relation de ces espaces entre eux est ordonnée par la narration, actualisée par les déplacements des personnages et leur passage d'un écran à l'autre.
Il y a dans ce film deux niveaux d’approche significatives d’une compréhension de l’espace/temps : la mise en scène à l’écran des quatre histoire dans un même espace (peuplement et flânerie) et l’utilisation du plan-séquence
regroupant ces quatre histoires dans un même temps.
Sun Set Bd, espace dans lequel se partage les quatre cameras qui durant 93mn, relateront différentes histoires qui se croiseront tout le long du film.
La représentation du cinéma passe à travers différents supports dont notamment le cadre de la caméra et la projection sur une surface plane.



Sun Set Bd, espace dans lequel se partage les quatre cameras qui durant 93mn,
relateront différentes histoires qui se croiseront tout le long du film.



1. Supports de représentation

La planeité du support.

Le support cinématographique est la surface plane construite comme un espace bidimensionnel tel que toutes les dimensions du concret, y compris la profondeur, voire le temps, pourront être saisies. Ici, la surface que propose ici Mike Figgis, est celle d’un quadriptyque. A la manière de télés de surveillance, Mike Figgis propose grâce à cette expérience des quatre écrans, une représentation très précise du potentiel qu’apporte un « foisonnement » d’attitudes et d’expériences humaines. Cette expérience produit un remarquable dialogue actif entre deux protagonistes qui existe dans l’art du théâtre : L’acteur et le spectateur sont tous deux actifs. L’acteur est d’autant plus actif qu’il effectue une réelle performance durant 93mn1. L’écran qui pourrait n’être qu’un simple support de représentation est détourné grâce au quadriptyque en un support interactif, où le spectateur devient lui aussi acteur dans l’interprétation de l’histoire.



Apothéose du Split-screen et du foisonnement d’attitudes et d’expériences : Une femme (2) frappe à la fenêtre de la voiture de Holly qui espionne (1) sa concubine Rose grâce à un magnétophone caché dans le sac de Rose. Holly à quelques raisons de douter de son amie puisque au même moment elle s’apprête à coucher avec le patron de la boite de production (4). Le film devant lequel les amants se prélassent empêche Holly de comprendre clairement ce qu’il se passe (1). En même temps, ce film est visionné par l’équipe de production où le patron devrait d’ailleurs être (3).



La projection

Si la définition du champs/contrechamps est l’espace d’un plan par rapport au champs délimité par un plan adjacent,2 alors ici, chaque plan séquences est le champs/contrechamps des trois autres. Ici, le film s’interprète et se comprend par un choix en alternance des quatre écrans.
Dans Time Code, Il n’y a pas de réalisateur dictateur3, le spectateur se retrouve dans un supermarché « libre de choix ». Mais comme au supermarché, le « libre choix » est toujours fortement influencé par un paramètre de taille : ici, le son. Le quadriptyque visuel se retrouve parallèlement rattaché à un « quadrisonate ». Alors que l’image est parfaitement juxtaposable, l’onde sonore, elle l’est beaucoup moins, Il s’agirait plus de surimposition. Mais dans ce film, chaque fragment est dépendant vis-à-vis des autres, ils demandent justement une extrême clarté. Comment devant quatre séquences, exprimer une clarté dans les choix possibles des l’histoires ? Mike Figgis a orchestré l’image et le son comme un chef d’orchestre. Donnant de l’importance à certains dialogues à certain moment, réduisant une autre scène à une « scène de second rôle ». La conception du film s’est d’ailleurs réalisée à la manière d’une partition de musique : Pour un temps, quatre notes simultanés.


Le cadrage

Le cadre dans ce film est comme nous l’avons vu d’une grande étanchéité vis-à-vis des éléments structurants l’image. Ici, le dialogue s’opère au niveau de la relation « cadre à cadre », où la dynamique ne vient pas du rapport protagonistes/plan (2D) mais est tiré d’une relation spatio/temporelle à la fois globale (ensemble du film) et locale (fragment d’histoire). La dynamique s’opère dans le complément que chacun des fragments peux apporter aux autres.
Le cadre n’est pour certain qu’une simple portion d’espace
cadré, pour d’autre il s’agit plus d’une feuille blanche à remplir4. Un espace dans l’espace, dans lequel les corps, n’évolueraient pas seulement dans une portion d’espace cadré mais serait conscient de cette limite virtuelle, comme si les limites du cadre devenaient les réelles frontières physiques. Dans Time Code, M.Figgis dépasse cette notion, pour devenir le cadre en un élément greffé au rythme de la vie, comme un témoin.
Gilles Deleuze distingue deux types de cadre : le cadre réceptacle et le cadre dynamique5. Le cadre réceptacle est défini par sa capacité, par la composition qui s’y organise, et par la contrainte qu’il exerce sur ses occupants. Time Code s’inscrit plus dans la logique du cadre dynamique, un cadre qui dépend étroitement de la scène, de l’image et des personnages qui l’habitent. Ici le cadre est continu, comme installé sur un rail ce cadre est à l’image de la camera surveillance, un cadre sans intention mais auquel on ne peut échapper.
Dans Time Code, l’utilisation du plan séquence et cette volonté d’être témoin amène au film un cadrage très brutal, caméra à la main mais qui permet néanmoins une intelligibilité de l’espace très forte. La camera adopte une position passive vis-à-vis des personnages, de sa position de témoin elle ne peut que « suivre » les attitudes et les mouvements des protagonistes. Ainsi quand Figgis nous dis que ce sont les spectateurs qui créent leurs propres
montages6 ; c’est partiellement vrai puisque le split-screen divisant l’écran en presque autant de protagonistes présents amène à une décomposition brut d’une histoire non-ecrite (télésurveillance).



Télésurveillance ou représentation laissant libre cours à l’imagination ?
Deux caméras pour deux points de vues possible (1 et 3).
A ce temps, on peut voire à la fois les amants (1 et 4) et leurs victimes (2 et 3).


2.le plan-séquence comme principe de lisibilité spatio/temporel

Le plan séquence est ici le moyen d’interpréter l’espace le plus librement possible. Ici, il n’y a pas de décor mais un espace réel, que l’on contourne s’il gène, que l’on exploite s’il le permet. Cette emprise de la caméra dans l’espace permet au spectateur de s’identifier pleinement au vécu de l’acteur, elle amène une intelligibilité de l’espace dans lequel foisonne acteurs et éléments spatiaux.
Le plan séquence c’est la prise de conscience du temps qui passe ainsi que des éléments spatiaux qui « peuplent » l’écran. Le plan séquence, cette forme audiovisuelle "ouverte" selon laquelle les événements peuvent désormais peupler et faire directement l'image sans se voir subordonnés à un Sens ou un Regard
supérieur prédéfini7 est une représentation idéal d’une
volonté visant à détailler et à expliciter les entrailles du réel8. Le plan séquence amène, dans ce film, de nombreux vides dans lesquels le temps est particulièrement marqué, car l’espace vécu c’est aussi une réponse spatiale à un espace brut, marquer le vide c’est aussi suggérer un plein.
Afin de faciliter cette lecture en temps réel de quatre histoires se déroulant dans un même espace, M.Figgis a inséré quotidiennement un événement remarquable et commun aux quatre plans séquences : cinq légères secousses sismiques rythment le film. Cette astuce permet la liaison temporaire des quatre histoires et de rappeler le concept à ceux qui se serait perdu. Dans le même but, M.Figgis fait appel au téléphone portable afin de reconnecter les acteurs entre eux.
Cette expérience cinématographique est un processus de création continuel. Tant du point de vue de sa création, que du point de vue de sa représentation, ce film, en tirant profit de la planéité du support crée une dialectique infinie entre acteurs et spectateur. Le cinéaste est donc dans ce film, à l’origine d’une structure spatio/temporelle autonome mais dépendante des ses usagers (acteurs et spectateurs).



Le plan séquence comme principe de lisibilité spatio/temporel : Le masseur dans le couloir (1)
rejoint la salle commune des producteurs (3).
La caméra derrière l’acteur prend le couloir perpendiculaire pour
se retrouver, dans la salle commune, en face du masseur (3).
Cette technique permet donc de comprendre à la fois le temps
mis par le masseur pour rejoindre la salle
ainsi que de comprendre l’espace dans lequel ce fragment d’histoire se déroule.





1 Chaque plan séquence durait 93mn, ainsi les acteurs ont du s’immerger littéralement dans leur jeu d’acteur. Il aura fallut 15 prises avant que l’illusion ne soit parfaite.
2 Emmanuel Siety, Le plan au commencement du cinéma, les cahiers du cinéma, 2001
3 Mike Figgis. Conférence au Yahoo! Internet Life Online Film Festival (USA). 2000
4 Eisenstein
5 Gilles Deleuze, Cinéma 1. L'image-mouvement, Paris: Les éditions de Minuit, 1983
6 Mike Figgis. Conférence au Yahoo! Internet Life Online Film Festival (USA). 2000
7 Lexeception.org : la nouvelle architecture de l’image par Alain Renaud Alain
8 Walter Benjamin, L’OEuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée,Gallimard, 1991

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